DEPP 1, DGESCO 2, IGÉSR 3 en passant par CNESCO 4, CESEN 5, CEE 6, sans oublier la Cour des Comptes, le Conseil Économique Social et Environnemental et les programmes internationaux tels que PISA 7 7 et TIMSS 8, PIRLS 9, … et j’en oublie très certainement, sont des « structures » qui organisent ou participent à des évaluations dans le monde scolaire. Ces structures ont une indépendance aux niveaux scientifique, politique et financier plus ou moins forte et publient très généralement les résultats de leur travail dans des rapports le plus souvent accessibles.
L’existence d’un grand nombre de structures (en augmentation) peut s’expliquer en partie pour des considérations politiques et aussi en partie pour des raisons théoriques. En effet, le concept d’évaluation recouvre plusieurs types d’évaluations concernant les personnels, les établissements et les élèves. Pour ces derniers, il est habituel de distinguer l’évaluation certificative (les examens qui débouchent sur un diplôme), les évaluations externes (évaluations standardisées nationales et internationales destinées à comparer des niveaux au cours de la scolarité ou entre pays), et les évaluations internes pratiquées par les enseignants dans le quotidien de leur classe, destinées à favoriser l’apprentissage de leurs élèves (par exemple, pour ajuster leurs cours, guider les élèves dans une tâche, accompagner leurs progrès, etc.).
Les évaluations internes sont des activités courantes qui ont des effets significatifs sur les progrès des élèves. Dans son analyse d’environ 1 200 méta-analyses portant sur 50 000 articles scientifiques quantitatifs publiés en langue anglaise, John Hattie propose un classement de 258 facteurs appartenant à des sous-domaines (l’élève, la classe, l’école, la famille, les programmes, l’enseignant et les méthodes d’enseignement et d’apprentissage) qui influencent les résultats scolaires. Un des facteurs les plus bénéfiques est « le feedback de l’enseignant·e », en d’autres termes une sorte d’évaluation interne.
Malheureusement, toutes ces structures, de part leur mission, vont générer un nombre croissant d’évaluations, engendrant controverses et méfiance chez une partie de la communauté éducative (élèves, enseignants et personnels de l’école, parents d’élève, acteurs institutionnels, économiques et sociaux) quant à leurs finalités, utilités, et en particulier leurs efficacités et efficiences 10 sur les apprentissages.
Pour dépasser ces problèmes et ces tendances, il me semble nécessaire de renouer avec plusieurs principes sur lesquels devraient se fonder les activités d’évaluation :
> Un principe de clarté-simplicité pour tous les acteurs. Sélectionner un type évaluation (certificative, externe ou interne) correspondant à un objectif principal, organisé par une structure. Par exemple, si on veut étudier le niveau et le progrès des élèves au cours du temps ou entre pays, proposer une évaluation externe avec des tests standardisés sur un échantillon représentatif de quelques milliers d’élèves est nécessaire et suffisant (enquête Cèdre, PISA, TIMSS, PIRLS). Dans ce cadre, si les évaluations nationales sont efficaces, leurs coûts en ressources humaines (temps enseignants) et logistiques sont trop importants et donc au final peu efficientes. Il serait en outre utile que toutes ces structures se coordonnent et se répartissent de manière efficace et efficiente les différents objectifs des évaluations pour optimiser les ressources disponibles.
> Un principe de pertinence. Il ne fait pas de doute que les évaluations proposées doivent être pertinentes quant à leur finalité et leur validité scientifique et pédagogique. Pour chaque évaluation, il est important de réunir une commission composée, en plus d’enseignant·e·s, de spécialistes de chaque domaine disposant notamment de données indiquant, pour chaque exercice qui sera mis à disposition des enseignant ·e·s, comment se comportent « normalement » les élèves de ce niveau scolaire scolarisé·e·s en France. Cela permet de proposer des évaluations (pas seulement des connaissances et compétences en lecture et mathématiques) basées à la fois sur les résultats de la recherche et l’expertise des enseignant·e·s. Ensuite, avant de proposer cet outil à grande échelle, il faudrait l’évaluer (y compris ses modalités de passation et d’interprétation des résultats) auprès de différents groupes d’élèves représentatifs de la diversité de la population scolaire française. Enfin, dans le cadre d’une évaluation interne, l’enseignant·e doit pouvoir choisir d’utiliser (ou non) le ou les outils pertinents disponibles quant à ses besoins pédagogiques et sans avoir l’obligation de coder les données et les transmettre au niveau national (coût en ressources humaines trop importants et trop faible intérêt statistique).
> Un principe d’efficacité. L’évaluation doit avoir des effets positifs sur des pratiques pédagogiques et/ou les apprentissages Pour chaque évaluation proposée, il est nécessaire de l’accompagner de réponses ou d’aides pédagogiques pertinentes au regard des connaissances et compétences évaluées. Cette approche dite aussi de « réponse à l’intervention » aide les enseignant·e·s à prévenir les difficultés en intervenant au plus vite et en différenciant les interventions pédagogiques selon les besoins de chaque élève. En conséquence, chaque évaluation conduite par des enseignant·e·s doit pouvoir être associée à réponses pédagogiques efficaces. Il est peu efficient de proposer aux enseignant·e·s des évaluations de repérage à chaque élève si une fois que ces dernières sont posées, aucun outil n’est disponible.
> Un principe d’efficience. Un type d’évaluation ne doit pas seulement montrer son efficacité sur les apprentissages des élèves mais aussi son efficience. En effet, chaque évaluation présente des coûts très significatifs en ressources logistiques, temporelles et humaines (si on intègre le nombre d’heures passées par chaque enseignant·e de France pour faire passer une évaluation en classe et traiter les données). Les effets des évaluations devraient être pris en compte avec leur coût global. Par exemple, si l’objectif d’une évaluation est de donner à chaque enseignant·e des indicateurs normalisés pour chaque élève scolarisé·e en France afin de l’aider à adapter ses enseignements, il n’est pas efficient de faire remonter et traiter l’ensemble de ces données au niveau national. Enfin, il est important que sur le temps disponible en classe, la proportion du temps consacrée aux évaluations (sans réponse pédagogique) reste largement mineure par rapport au temps consacré à l’enseignement et aux apprentissages : en d’autres termes, avant d’évaluer, il faut apprendre.
En conclusion, il est urgent de renouer avec ces 4 principes dans les évaluations afin de favoriser la confiance de la communauté éducative dans leurs finalités, utilités et efficiences… et éviter de les conduire à un rejet général du principe de l’évaluation.
Pr Édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève,
Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Centre Jean Piaget
Pour citer cet article : Gentaz, É. (2022). Éditorial – La frénésie française des « évaluations » dans l’éducation : 4 principes pour favoriser la confiance de la communauté éducative dans leurs finalités, utilités et efficiences. A.N.A.E., 180, 545-548.
Programme – CONFÉRENCE DE CONSENSUS L’ÉVALUATION EN CLASSE, AU SERVICE DE L’APPRENTISSAGE DES ÉLÈVES : https://www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2022/10/Programme_CC-Evaluation_Cnesco.pdf
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