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La recherche, l’école et le numérique. Les résultats du programme e-FRAN (2018-2021) – ANAE N° 175 – É. Gentaz

Dans mon éditorial  N°150 publié en 2018 (Gentaz, 2018), je soutenais que le programme e-FRAN, initié en 2016 par la mission Monteil – mission interministérielle sur le numérique éducatif dans le cadre du Programme d’Investissements d’Avenir (PIA2) – pouvait être considéré comme un « levier » prometteur pour développer des synergies entre des acteurs de la recherche, de l’école et du numérique.
Le but général de ce programme était d’apporter un soutien financier à des projets mobilisateurs de territoires éducatifs innovants, de stimuler la création d’une culture partagée autour des enjeux de l’éducation à la société numérique et autour de la nécessité d’apprendre « le numérique » et « avec le numérique ». Ce programme a été doté d’un budget de près de 21 millions d’euros et a permis de financer 22 projets sur 4 ans (2018-2021). 

L’évaluation conduite par un comité d’expert (dont j’ai assumé la présidence) pour le Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCÉRES, 2021) relève les forces des recherches mises en œuvre durant ces quatre années : 

● Des recherches interdisciplinaires (informatique, psychologie, éducation, didactique) intégrant à la fois les enseignants et les élèves grâce à une démarche de co-conception ou centrée-utilisateurs, et des entrepreneurs de la filière EdTech.

● Un très large déploiement sur l’ensemble du territoire français, y compris Mayotte : plus de 25 établissements d’enseignement supérieur, 58 unités de recherche, 20 entreprises/Start-Up, 12 associations et 24 collectivités territoriales.

● Des expérimentations nombreuses et variées en contexte scolaire, à large échelle, avec un souci d’administration de la preuve en éducation, et étayées par des recherches : plus de 890 établissements (écoles, collèges et lycées), 1 240 enseignants, et 25 000 élèves.

● Des collaborations avec des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation impliquées aux côtés des cadres territoriaux du MEN.

● Le financement de 51 thèses (en psychologie, informatique, sciences de l’éducation, didactique, sociologie, économie et droit), dont 26 sont soutenues. Notons que ces doctorants, à travers leurs confrontations avec les cultures et les contraintes de ces différents mondes, ont aussi contribué à la formation de leurs directeurs de thèse parfois peu familiers aux contraintes du monde éducatif.

● Des résultats publiés dans des journaux scientifiques à comité de lecture, dans des disciplines diverses.

● De nombreuses et diverses actions de formations initiales et continues à destination des enseignants (plus de 2 500), accompagnées de publications dans des supports de diffusion ou valorisation.

● Un développement de plusieurs outils numériques (plateformes, logiciels, etc.) à destination des enseignants et des élèves, des outils produits gratuitement accessibles et paramétrables par l’enseignant selon le contexte, comme Dialoguea, Évasion, Élargir, GraphoGame, Kalulu, Luciole, Mathador, Pouceed.

Cette évaluation souligne aussi plusieurs faiblesses, comme par exemple :

● Des pratiques de co-conception impliquant chercheurs et enseignants, rarement inscrites dans un cadre théorique et méthodologique, qui semblent seulement « émerger » durant la conduite de la recherche.

● Une absence d’évaluation systématique des effets des outils, dispositifs ou interventions sur les apprentissages des élèves.

● Une absence d’évaluation systématique des effets des formations (initiales ou continues) sur les compétences professionnelles acquises des enseignants et leurs gestes professionnels.

● Une diffusion et une valorisation des résultats spécifiques à destination des praticiens non systématiquement documentées.

Enfin, cette évaluation recommande, pour les futurs appels d’offre de ce type, que les études prennent en compte systématiquement l’hétérogénéité et la diversité des élèves à travers les inégalités sociales, les situations de handicap et les troubles neurodéveloppementaux et la dimension transition énergétique dans les solutions numériques développées.

En conclusion, ces différents types de recherches permettent de dépasser les postures systématiques de fascination ou de rejet pour le numérique à l’école, en évaluant scientifiquement ses apports et en régulant les potentiels conflits d’intérêt (Gentaz, 2019).

Ces recherches nécessitent par nature un temps long pour être conduites dans des conditions sérieuses, et contribuent pleinement à une approche raisonnée des usages du numérique aux apprentissages et à l’enseignement. Leurs mises en œuvre ont contribué très probablement aux rapprochements de ces différents mondes en créant une culture commune.

Pr Édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève et
Directeur de recherche au CNRS

Références

Gentaz, É. (2018). Éditorial – Un « levier » prometteur pour développer des liens entre des acteurs de la recherche, de l’école et du numérique : e-FRAN. A.N.A.E., 150, 515-517.

Gentaz, É. (2019). Éditorial – Déclarer les conflits d’intérêts pour favoriser la confiance. A.N.A.E., 162, 567-569.

HCERES (2021). Territoires éducatifs d’innovation numériques – Rapport d’évaluation des 22 projets lauréats de l’appel à projets e-FRAN. Paris : HCÉRES.

Pour citer cet article : Gentaz, É. (2021). Éditorial – La recherche, l’école et le numérique. Les résultats du programme e-FRAN (2018-2021). A.N.A.E., 175, 621-623.

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