Dans mon éditorial du n°148 en 2017, j’expliquais les différentes raisons qui devaient nous conduire à réformer la formation initiale et le recrutement des enseignant.e.s du primaire en France. Une réforme radicale était probablement le meilleur levier de changement présentant le meilleur coût/bénéfice. En effet, toutes les études montrent que c’est le niveau des compétences des enseignants qui va déterminer au final la qualité du système scolaire et donc ses performances. Or ce niveau de compétences va dépendre des formations suivies et des modalités de recrutement.
Rappelons que dans l’ancien système, la plupart des nouveaux professeurs des écoles, après la réussite au concours national à la fin de la première année de master (master Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, MEEF), recevaient à l’ESPE pendant la seconde année de master une formation en alternance (mi-temps ESPE/mi-temps en classe, avec un salaire plein d’enseignant-stagiaire, soit environ 1 450 euros net mensuel). Sur les quelque 250 heures dispensées, seulement 40 heures étaient consacrées à l’apprentissage du français et des mathématiques. L’année suivante, ces nouveaux enseignants étaient en classe à temps plein et bénéficiaient d’un accompagnement sur le terrain par les équipes de circonscription (avec deux à quatre visites d’un formateur sur l’année scolaire). Cependant, comment pouvons-nous imaginer qu’un étudiant, après avoir suivi un master (dont les contenus sont très variables selon les universités), puis reçu ces faibles heures de formation concernant ces deux matières fondamentales, puisse dans la foulée proposer des activités pédagogiques pertinentes en lecture et mathématiques à tous les cycles et à tous les élèves ? En caricaturant, c’est comme si on demandait après un master de son choix et une réussite à un concours, à un étudiant de devenir médecin en moins de deux années, avec une probabilité élevée d’exercer dans des conditions difficiles (zones d’éducation prioritaire, remplacements, postes fractionnés, etc.).
En conséquence, on aurait pu s’attendre à une réforme qui allait favoriser les aspects professionnalisants. Mais, après discussions et débats et malgré les intentions affichées, la réforme proposée pour les prochaines années (rentrée 2020 pour la première cohorte, examen printemps 2022) par le MEN et ses modalités d’organisation vont très probablement engendrer au final un recul de la formation professionnalisante des futurs enseignant.e.s. Trois raisons expliquent cet échec annoncé.
Le fait de placer le concours au semestre 4 du master (au lieu du semestre 2) va engendrer automatiquement une pression du concours bien compréhensible tout au long des deux années de master. Une pression qui se traduira par une perspective de préparation à court terme, i.e. répondre à des épreuves du concours de recrutement et donc par un report des besoins de professionnalisation. Ceci aura un impact direct sur les priorités et centrations des candidats dans leur préparation à ces concours durant leurs deux années de master, et risque ainsi de provoquer un éloignement des compétences transversales et professionnelles du métier. Ce pilotage par les modalités du concours s’illustre par exemple tout récemment avec la disparition des épreuves d’EPS au concours de recrutement des professeurs des écoles et en conséquence la diminution probable, voire à terme une disparition, des formations en EPS pendant les années de master préparant au métier d’enseignant. Par ailleurs, en master 2, les étudiants ne seront plus des professeurs stagiaires percevant le salaire d’un professeur débutant mais des étudiants en stage contractualisé avec l’employeur à tiers temps et donc rémunéré au tiers (sans doute à moins de 500 € net mensuel), ce qui risque de réduire encore l’attractivité du métier en particulier chez les jeunes issus de milieux socio-économiques défavorisés ou en reconversion.
La deuxième raison concerne la place du mémoire professionnel. Obligatoirement validé en M2, il était dans l’ancien système adossé à la pratique du stage en responsabilité par la définition d’une problématique professionnelle de terrain. Les maquettes en cours de construction le placent en M1 (même s’il sera statutairement validé en M2) ; il sera donc adossé non plus à un stage en responsabilité, mais à un stage de pratique accompagnée d’un volume maximum de 6 semaines. L’étudiant devra, en plus des compétences propres à une pratique accompagnée dans la classe, mettre en place lors de ce stage une expérimentation en lien avec une problématique professionnelle qui sera sans doute encore plus difficile à définir pour eux que dans le fonctionnement actuel Pour la plupart des étudiants, ce stage sera le premier en établissement. Par ailleurs, il est probable que l’objectif prioritaire des étudiants-stagiaires sera celui de réussir le concours plutôt que celui de s’investir dans leur mémoire et d’analyser leur posture, leurs gestes professionnels et leurs effets.
La troisième raison est la place du master MEEF par rapport aux autres masters. Actuellement, 50 % des lauréats aux concours de l’enseignement sortent du master MEEF et 50 % de masters dans une discipline universitaire spécifique. Si le ministère revendique que le master MEEF soit la voie royale pour former les enseignants, pourquoi alors placer les lauréats du concours détenteur du master MEEF à temps complet pour leur année de titularisation (T0) alors que les lauréats qui sont détenteurs d’un autre master auront sans doute un mi-temps en établissement payé temps complet pour cette même année T0 ? Est-ce vraiment une incitation à préparer le concours dans le cadre d’un master MEEF ou plutôt la porte ouverte à des formations par un institut privé, ou des master parallèles en recherche d’étudiants ? Cette question interroge la cohérence de la formation et le développement de compétences professionnelles initiales clairement identifiées.
En résumé, ces changements vont dans la mauvaise direction et annoncent un échec certain du point de vue de la professionnalisation des futurs enseignants. Quelles autres solutions sont possibles ? J’avais proposé que la formation et le recrutement des enseignants s’inspirent largement de ceux proposées dans les filières santé, soit un concours académique préalable très sélectif puis une formation académique et pratique en alternance dispensée durant plusieurs années. Nous avons besoin d’une sélection exigeante et rapide durant les premières années universitaires d’un nombre réduit d’étudiants correspondant au besoin du MEN. Ces étudiants sélectionnés devraient ensuite bénéficier d’une formation académique (apportée par les enseignants-chercheurs en didactique des disciplines et en sciences cognitives, voir Éditorial, A.N.A.E., 147) et professionnelle (apportée par les enseignants-formateurs) partiellement rémunérée sur 5 années (niveau master) avec une alternance entre l’université/INSPE (ex-ESPE) et les différents terrains scolaires. Cette alternance évoluerait vers un nombre d’heures en classe de plus en plus important au cours des années (et une rémunération qui augmente en conséquence). Cette formation initiale se terminerait par un mémoire de recherche interventionnelle appliquée à l’école (voir Éditorial, A.N.A.E., 146).
Pr Édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à Université de Genève et
Directeur de recherche au CNRS,
Rédacteur en chef d’A.N.A.E.
GENTAZ, É. (2017). Éditorial – Co-construction de recherches en sciences cognitives interventionnelles : un outil pour développer la formation initiale et continue des enseignant-e-s, A.N.A.E., 146, 9-11.
GENTAZ, É. (2017). Éditorial – École, neurosciences, neuro-éducation, neuropédagogie… Des neuro-illusions cognitives ?, A.N.A.E., 147, 107-110.
GENTAZ, É. (2017). Éditorial – Réformons radicalement la formation initiale des enseignant.e.s du primaire en France, A.N.A.E., 148, 223-225.
Pour citer cet article : Gentaz, É. (2020). Éditorial – La réforme du recrutement et de la formation initiale des enseignant·e·s en France pour 2020-2022 : vers un recul d’une formation professionnalisante ? A.N.A.E., 163, 699-701.
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