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Comment accompagner les parents à mieux réguler les usages des écrans récréatifs et réseaux sociaux de leurs enfants ? La méthode de Genève des 4 défis familiaux – ANAE N° 188 – É. GENTAZ

Au cours des dernières décennies, les conditions de vie socioculturelles des enfants ont considérablement changé : nos milieux de vie comptent désormais une multitude d’écrans (télévision, ordinateurs, tablettes ou encore smartphones) et l’on constate une augmentation significative du temps accordé aux usages des écrans récréatifs et réseaux sociaux (sans valeur ajoutée) hors temps scolaire. L’étude longitudinale Elfe en France conduite auprès de 12 558 enfants suivis depuis la naissance montre que le temps d’écran quotidien moyen était en 2013 de 56 minutes à 2 ans, 1h20 à 3,5 ans et 1h34 à 5,5 ans (Bernard et al., 2023). Les écrans sont utilisés de plus en plus précocement par les jeunes enfants (Gillioz, Bellucci, Borghini, Gentaz & Lejeune, 2022), et plus particulièrement depuis la pandémie de la COVID-19. En 2021, la majorité des enfants de moins de trois ans étaient exposés aux écrans plus de six jours par semaine, entre trente minutes et trois heures par jour, avec un lien entre la consommation du parent et celle de son enfant (Gillioz et al., 2022).

Les recherches internationales s’intéressant aux adolescents et aux adultes sont nombreuses, en particulier sur la question des effets bénéfiques et délétères des jeux vidéo. Elles restent à l’inverse rares sur le développement de l’enfant, entre autres en raison du temps important nécessaire à leur implémentation et de l’évolution rapide des technologies et de leurs usages. Nous ne pouvons que le déplorer, cette question relevant d’un véritable enjeu de santé publique pour les prochaines années. Certes, les recherches sur cette question sont très complexes à conduire d’un point de vue méthodologique (Lejeune & Gentaz, 2022) avec la question des mesures objectives des « temps d’exposition » aux écrans des enfants et/ou « leurs usages », de la nature du lien (causal ?) entre ces temps/usages et certaines compétences cognitives ou socio-émotionnelles, ou encore de la manière de prendre en compte les contextes socio-culturels et économiques des familles. Les principaux résultats des recherches récentes sur les effets des écrans sur le développement psychologique des très jeunes enfants indiquent qu’une forte exposition aux écrans pourrait avoir un impact négatif sur le développement des capacités attentionnelles et langagières. Ils invitent néanmoins à la prudence car de nombreux facteurs viennent modérer ces effets, tels que la nature des contenus, les comportements des parents, l’environnement familial et culturel ou le niveau socio-économique (Gillioz, Lejeune & Gentaz, 2022).

Compte tenu des recherches et des demandes sociétales, s’il est crucial d’apporter régulièrement aux parents et aux professionnels un état des avancées des connaissances scientifiques publiées dans des journaux scientifiques (Séminaire du Centre Jean Piaget, 2024), il me semble tout aussi crucial de proposer des dispositifs d’accompagnement efficients destinés à accompagner les parents dans le souhait de réguler les usages de leurs enfants (hors école) des écrans récréatifs et réseaux sociaux dans les activités de la vie familiale. La tâche est ardue car, par exemple, la recommandation de non-usage des écrans pour les jeunes enfants est globalement très peu suivie par les parents de la cohorte Elfe en France (Poncet et al., 2022).

Les approches interventionnelles avec un design participatif constituent une piste prometteuse pour aider les familles à modifier leurs comportements face aux écrans récréatifs et réseaux sociaux (Recherche participative 2024 « Écrans autrement » en cours).

Par quoi remplacer les écrans récréatifs et réseaux sociaux ?
Les 4 défis familiaux LB²J

La première phase du programme que nous avons conçu consiste à proposer aux parents de jeunes enfants de s’engager dans un projet de réduction des temps d’écrans pendant une période limitée et de substituer à ce temps un des 4 types activités LB²J, à savoir :

● lire (de la lecture partagée à la lecture autonome de plaisir),

● bouger (activités physiques et sportives),

● bricoler (activités manuelles ; jardiner, cuisiner, etc., voir édito A.N.A.E. de  Gentaz, 2023b),

● jouer sous toutes ces formes (jeu de faire semblant, jeu de règles, etc.).

Les effets bénéfiques de ces activités LB²J sur le développement de l’enfant sont largement documentés par de nombreuses recherches scientifiques (voir par exemple des synthèses pour les parents ou praticiens : Amstad et al., 2022a et b ; Dehaene, Dehaene-Lambertz, Gentaz, Huron & Sprenger-Charolles, 2011 ; Desmurget, 2023 ; Gentaz, 2023a  ; Richard & Gentaz, 2019, 2020). Bien entendu, ces activités sont intimement liées (e.g., jouer à faire semblant de cuisiner, etc.) et leurs combinaisons infinies.

Les familles seront régulièrement invitées à choisir un défi adapté à l’âge des enfants (parmi un catalogue mis à disposition par les professionnels) puis à le tester dans leur vie quotidienne : « Ce dimanche, nous remplaçons 30 minutes d’écran par 30 minutes de LB²J »).

La seconde phase consiste à favoriser le partage social de ces micro-expérimentations (réussites, difficultés) des familles au sein d’un groupe (par exemple, les familles d’enfants d’une crèche, d’une classe, etc.) via plusieurs canaux de communication (réunion, affiche, chaîne privée WhatsApp, etc.) ainsi que la possibilité des participants à en créer eux-mêmes. Ces possibilités sont identifiées comme des leviers potentiellement bénéfiques à l’implication des participants et à l’atteinte de leurs propres objectifs.

Comment faire ?

Les adultes (parents, grands-parents, etc.) ont un rôle essentiel dans la place et la nature des activités réalisées par leurs enfants dans la vie quotidienne (hors école). Il est important de rappeler que l’adulte peut intervenir de quatre manières différentes (Gentaz, 2022, 2023).

La première est le « Faire Faire » : l’adulte fait faire, il pilote l’activité, donne les règles et les consignes et arbitre l’activité. Le second type d’intervention est le « Faire Avec » : l’adulte peut faire avec l’enfant et a le même statut dans l’activité. Le troisième type est le « Donner à Faire » : l’adulte se met en retrait durant l’activité après avoir préparé l’ensemble du matériel mis à disposition en toute sécurité. Il prépare des ateliers, des espaces, mais, ensuite ne pilote plus l’activité. L’enfant est seul et se débrouille. Le quatrième type d’intervention est le « Laisser Faire » : l’adulte n’intervient pas, excepté pour garantir la sécurité de l’enfant.

L’utilisation de ces quatre interventions au cours du temps, et selon les activités choisies par les adultes est indispensable, et les différences essentielles vont résider dans leur pondération, le dosage de chacune par rapport aux autres. Ce dosage représente le
« marqueur » du style éducatif des adultes et de leurs conceptions de l’enfant en développement et de ses capacités. En fonction de l’âge de l’enfant, de son développement et du contexte, le dosage de chaque catégorie d’intervention change et évolue avec le temps et l’expérience de l’adulte.

 

Pr Édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève,
Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Centre Jean Piaget

Références

Amstad, F., Unterweger, G., Sieber, A., Dratva, J., Meyer, M., Nordström, K., Weber, D., Hafen, M., Kriemler, S., Radtke, T., Bucher Della Torre, S., Gentaz, é., Schiftan, R., Wittgenstein Mani, A.-F., & Koch, F. (2022). Promotion de la santé pour et avec les enfants – Résultats scientifiques et recommandations pour la pratique. Rapport 8. Promotion Santé Suisse. https://promotionsante.ch/rapport-8

Amstad, F., Suris, J., Barrense-Dias, Y., Dratva, J., Meyer, M., Nordström, K., Weber, D., Bernath, J., Süss, D., Suggs, S., Bucher Della Torre, S., Wieber, F., von Wyl, A., Zysset, A., Schiftan, R., & Wittgenstein Mani, A.-F. (2022). Promotion de la santé pour et avec les adolescent-e-s et les jeunes adultes – Résultats scientifiques et recommandations pour la pratique. Rapport 9. Promotion Santé Suisse. https://promotionsante.ch/rapport-9

Bernard, J.Y. et al. (2023). Temps d’écran de 2 à 5 ans et demi chez les enfants de la cohorte nationale Elfe. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire, 6, 98-105.

Centre Jean Piaget (2024). Quels sont les effets des écrans sur le développement des enfants et des adolescents ? Séminaire Interdiscipline, Universitaire de Genève. https://www.unige.ch/centre-piaget/

Dehaene, S. (Ed), Dehaene-Lambertz, G., Gentaz, É., Huron, C., & Sprenger-Charolles, L. (2011). Apprendre à lire. Paris : Odile Jacob.

Desmurget, M. (2023). Faites-les lire ! Paris : Seuil.

Gentaz, É. (2022). La santé mentale des enfants en Suisse – Chapitre 8. Promotion de la santé pour et avec les enfants – Résultats scientifiques et recommandations pour la pratique. Rapport 8. Promotion Santé Suisse. https://promotionsante.ch/rapport-8

Gentaz, É. (2023a). Comment les émotions viennent aux enfants ? Paris : Nathan.

Gentaz, É. (2023b). Éditorial – Redécouvrir l’intelligence de la main et les effets bénéfiques des activités manuelles sur les apprentissages et le développement neurocognitif des enfants. A.N.A.E., 182, 9-11.

Gillioz, É., Bellucci, T., Borghini, A.,Gentaz, É., & Lejeune, F. (2022). Les écrans et les jeunes enfants (0-3 ans) dans un contexte de pandémie de COVID-19 : une enquête en ligne conduite auprès de 486 parents. A.N.A.E., 178, 321-331.

Gillioz, E., Lejeune, F., & Gentaz, É. (2022). Les effets des écrans sur le développement psychologique des très jeunes enfants : une revue critique des recherches récentes. A.N.A.E., 178, 309-320.

Lejeune, F., & Gentaz, É. (Eds) (2022). Effets des « écrans » sur le développement des enfants. A.N.A.E., 178, 85 pages.

Poncet, E. et al. (2022). Sociodemographic and behavioural factors of adherence to the no-screen guideline for toddlers among parents from the French nationwide Elfe birth cohort. The international journal of behavioral nutrition and physical activity, 19(1), 104. https://doi.org/10.1186/s12966-022-01342-9

Richard, S., & Gentaz, É. (2019). Jeux d’enfants et règles de société. In C. Courtet, M. Besson, F. Lavocat, & A. Viala (Eds.), Le jeu et la règle (pp. 71-84). Paris : CNRS éditions.

Richard, S., & Gentaz, É. (eds) (2020). Le jeu et ses effets sur le développement et les apprentissages : regards multiples. A.N.A.E., 165, 84 pages.

Recherche participative (2024). « Écrans Autrement » coordonnée par Édouard Gentaz, Isabelle Bouguerra-Roh, Fleur Lejeune, Estelle Gillioz et Marianne Zogmal avec la participation de Béatrice De Freitas, Monica Novoa, Joana Nong Oliveira Da Silva, Christine Hiltbrunner, Maëva Meunier, et Mélissa Stauffe. Regards Croisés sur la petite enfance, FPSE, Espaces de Vie Enfantine du Secteur Université de Université de Genève.

Pour citer cet article : Gentaz, É. (2024). Éditorial – Comment accompagner les parents à mieux réguler les usages des écrans récréatifs et réseaux sociaux de leurs enfants ? La méthode de Genève des 4 défis familiaux. A.N.A.E., 188, 9-12.

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