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Comment les enfants pourraient contribuer à changer les comportements positifs de leurs parents : une approche originale prometteuse – ANAE N° 195 – É. Gentaz

Il existe un consensus sur le fait que la relation parent-enfant est caractérisée par des influences (cognitives, socio-affectives, comportementales) bidirectionnelles. Cependant, la grande majorité des recherches examinent une direction : l’influence des parents sur le développement psychologique de l’enfant. L’idée que les enfants peuvent aussi influencer le comportement des adultes, et plus particulièrement des parents, trouve son origine dans l’article princeps de Bell (1968). Dans ce dernier, Bell a initié un changement de paradigme dans l’étude des processus de socialisation en affirmant que le comportement parental ne détermine pas uniquement ceux de l’enfant, mais qu’il est également influencé par la personnalité et le comportement de l’enfant et qu’il en dépend. Selon cette approche, le parent et l’enfant possèdent tous deux un ensemble de manifestations comportementales qui sont activées en réponse au comportement de l’autre partie. Ainsi, pour maintenir l’équilibre dans la relation, l’enfant et le parent essaient de réguler les réponses de l’autre et de contrôler les manifestations comportementales excessives (Bell & Harper, 2020). Cette approche a généré des recherches sur le rôle de l’enfant au sein de la dyade parent-enfant. Si de telles recherches étaient rares, elles se sont efforcées non seulement d’identifier les effets potentiels sur la structure familiale, mais aussi de discerner les moments spécifiques du développement où ces effets provenant des enfants sont plus importants que ceux provenant des parents. Les premières études expérimentales se sont concentrées sur les réponses des adultes ou des parents dans les domaines comme la discipline en manipulant expérimentalement le comportement de l’enfant (Bates, 1976 ; Osofsky & O’Connell, 1972).

Les recherches contemporaines se sont quant à elles principalement intéressées à l’impact négatif des comportements dits externalisés de l’enfant sur les représentations parentales et les pratiques éducatives (par exemple, Maigret & Gentaz, 2023). Par exemple, le tempérament difficile d’un bébé semble avoir un impact négatif sur la représentation que les nouveaux parents ont l’un de l’autre et conduire à davantage de conflits. De même, le comportement agressif d’un enfant peut susciter des pratiques parentales négatives, renforçant ainsi les représentations négatives du partenaire et contribuant à altérer la communication et générer les conflits. Ces effets sont principalement conceptualisés comme passifs, découlant de prédispositions génétiques qui interagissent avec des environnements préexistants défavorables ou qui conduisent les enfants à construire leur environnement d’une manière qui les pousse à se comporter de manière inadaptée (Kalogirou & Gentaz, 2025). Dans la même perspective, les tentatives d’influence de l’enfant sont souvent perçues comme des résultats accidentels de réactions involontaires, associées à un manque perçu de maîtrise de soi, et ne sont pas reconnues comme des expressions comportementales intentionnelles.

La façon dont nous percevons le rôle de l’enfant sur les comportements de leurs parents, c’est-à-dire d’un récepteur passif vers une source active d’influence, dépasse la dimension familiale et revêt une importance considérable pour la société. En effet, cette perspective pourrait influencer la conception et la mise en œuvre de programmes éducatifs. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses interventions éducatives ont été conçues pour les enfants dans le but d’influencer indirectement l’attitude, la prise de décision et le comportement des adultes. Ces interventions sont basées sur des modèles d’apprentissage intergénérationnel qui supposent que les enfants, ainsi que les parents, peuvent contribuer à une compréhension cognitive commune au sein de la relation en apportant des informations issues de leur propre expérience. Ces programmes ont donné des résultats significatifs dans des domaines tels que la conservation des zones humides (Damerell et al., 2013), la préservation de la faune et de la flore (Marchini & Macdonald, 2020), ainsi que la sensibilisation au cancer du sein (Soto-Perez-de-Celis et al., 2017). Néanmoins, ces études se sont appuyées principalement sur des mesures d’auto-déclaration pour évaluer les changements d’attitudes et d’intentions comportementales des parents, sans tester directement les effets de l’enfant sur les comportements de l’adulte. Il est donc prometteur de mener des études expérimentales qui observent les séquences comportementales enfant-parent (autre adulte) lors de la transmission d’informations afin de construire des programmes d’éducation ou de prévention efficaces.

En conclusion, les futures recherches devraient davantage prendre en compte le rôle de l’intentionnalité de l’enfant et la manière dont ces derniers peuvent activement influencer les représentations mentales des parents (ou d’autres adultes) et leurs comportements, et ce de manière positive (pour une revue, voir Kalogirou & Gentaz, 2025).

Pr Edouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève,
Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Centre Jean Piaget

Références

Bates, J. E. (1976). Effects of children’s nonverbal behavior upon adults. Child Development, 47(4), 1079-1088. https://doi.org/10.2307/1128445

Bell, R. Q. (1968). A reinterpretation of the direction effects in studies of socialization. Psychological Review, 75(2), 81-95. https://doi.org/10.1037/h0025583

Bell, R. Q., & Harper, L. V. (2020). Child effects on adults. Routledge, Taylor & Francis Group.

Damerell, P., Howe, C., & Milner-Gulland, E. J. (2013). Child-orientated environmental education influences adult knowledge and household behaviour. Environmental Research Letters, 8(1), Article 015016. https://doi.org/10.1088/1748-9326/8/1/015016

Maigret, G., & Gentaz, É. (2023). Parentalité, pratiques éducatives et punitions : que disent les recherches scientifiques sur les effets des punitions relationnelles (time-out) ou corporelles (fessées) sur le développement psychologique des enfants ? A.N.A.E., 183, 229-233. https://www.anae-revue.com/2023/04/28/parentalit%C3%A9-pratiques-%C3%A9ducatives-et-punitions-que-disent-les-recherches-scientifiques-g-maigret-%C3%A9-gentaz/

Kalogirou, E., & Gentaz, É. (2025). A scientometric review of the scientific literature on child effects on adults: Topics of interest and areas for development in psychological research. Acta Psychologica, 255, 104897. Advance online publication. https://doi.org/10.1016/j.actpsy.2025.104897

Osofsky, J. D., & O’Connell, E. J. (1972). Parent-child interaction: Daughters’ effects upon mothers’ and fathers’ behaviors. Developmental Psychology, 7(2), 157-168. https://doi.org/10.1037/h0033016

Soto-Perez-de-Celis, E., Smith, D. D., Rojo-Castillo, M. P., Hurria, A., Pavas-Vivas, A. M., Gitler-Weingarten, R., Mohar, A., & Chavarri-Guerra, Y. (2017). Implementation of a school-based educational program to increase breast cancer awareness and promote intergenerational transmission of knowledge in a rural mexican community. The Oncologist, 22(10), 1249-1256. https://doi.org/10.1634/theoncologist.2017-0063

Pour citer cet article : Gentaz, É. (2025). Comment les enfants pourraient contribuer à changer les comportements positifs de leurs parents : une approche originale prometteuse. A.N.A.E., 195, 125-127.

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