La santé mentale ou psychique est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté » (OMS, 2019). Si cette définition concerne principalement les adultes, elle peut être adaptée aux jeunes en tenant compte des spécificités de leur environnement (Gentaz, 2022). De plus, la notion d’« état » ne doit pas être comprise comme statique, mais davantage comme un processus complexe multiple et dynamique, influencé à la fois par des caractéristiques individuelles et des facteurs exogènes, tels que les conditions sociales et le contexte dans lequel vivent les personnes. La santé mentale d’une personne peut se manifester au travers de son bien-être émotionnel, de son estime de soi, de sa satisfaction, de ses performances, ainsi que de sa capacité à prendre part à la vie sociale et à cultiver des liens sociaux satisfaisants. La santé mentale d’une personne résulte de sa capacité à mobiliser des ressources internes et externes pour faire face aux multiples exigences et difficultés rencontrées quotidiennement (OFS, 2019). Divers outils et approches permettent de la mesurer : questionnaires ; entretiens, diagnostics, consultations, prescriptions médicamenteuses, etc.
En 2015, dans une méta-analyse portant sur 41 études issues de 27 pays, Polanczyk et ses collègues (2015) ont identifié chez les adolescent·e·s une prévalence moyenne globale de 13,4 % pour les quatre catégories de troubles suivantes : « troubles anxieux (6,5 %) », « troubles du comportements (5,7 %) », « TDAH (3,4 %) » et « dépressions (2,6 %) ». Entre 2002 et 2018, l’étude HBSC (Ambord et al., 2020) a examiné l’évolution du pourcentage d’enfants et d’adolescent·e·s de 11 à 15 ans ayant souffert d’un trouble spécifique tel que la tristesse, la mauvaise humeur, la nervosité, la fatigue, l’anxiété, l’irritabilité et les difficultés chroniques d’endormissement au cours des six derniers mois. Les résultats révèlent que pour tous les troubles, l’année 2018 affiche la valeur la plus élevée par rapport aux quatre temps de mesures précédents. Seule l’expérience d’agacement chronique ou de colère a légèrement diminué. De plus, toutes les valeurs pour les filles sont plus élevées que pour les garçons. En plus des troubles courants que sont la dépression, l’anxiété et le TDAH, d’autres troubles psychiques comme les troubles de l’alimentation et les addictions voient leur prévalence augmenter à l’adolescence (Amstad et al., 2022).
Diverses études ou rapports montrent que la pandémie du COVID 19 a eu un effet psychique plus important sur les jeunes que sur les personnes plus âgées avec, en particulier, une diminution significative du bien-être psychologique des adolescent·e·s.
Deux rapports récents parus en 2024 sont très instructifs et alarmants.
Le premier est le rapport annuel 2024 de l’Assurance Maladie en France. Il rapporte que les jeunes sont une population très majoritairement en bonne santé mais auprès de laquelle on observe une augmentation des maladies psychiatriques de 19,8 % entre 2019 et 2022 pour la tranche d’âge 12-25 ans, avec une augmentation presque trois fois plus importante pour les femmes (+29,8 %) que pour les hommes (11,7 %). L’augmentation observée dès 2015 s’est accélérée en 2021. L’augmentation entre 2015 et 2023 de la consommation de psychotropes pour traiter des troubles psychiques (antidépresseurs, anxiolytiques, hypnotiques, psychostimulants et neuroleptiques) chez les adolescent·e·s et jeunes adultes confirme cette dégradation de la santé mentale. Si l’on regarde le nombre de remboursements d’au moins un psychotrope chez les jeunes de 12-25 ans, on observe une augmentation de 18 % (de 792 000 en 2019 à 936 000 en 2023) alors que dans le même temps, la population de cette tranche d’âge n’a augmenté que de 3 %. Si l’on regarde ensuite l’évolution du taux de délivrance de psychotropes entre 2015 et 2020, on note une augmentation de 15 % chez les 12-25 ans alors que ce taux diminue de 1 % chez les 26-60 ans. Entre 2019 (année de référence avant la pandémie) et 2023, le nombre de jeunes traité·e·s par antidépresseurs a progressé de 60 %, ce qui représente 143 600 jeunes français supplémentaires suivant un tel traitement. Cette augmentation spécifique à cette classe d’âge, s’observe pour l’ensemble des catégories de psychotropes, pour tous les âges et sexes/genres mais plus fortement chez les filles et parmi elles chez les plus jeunes.
Le second rapport publié dans « The Lancet Psychiatry Commission on youth mental health » (McGorry et al., 2024) souligne aussi cette augmentation inquiétante des problèmes de santé mentale à travers le monde, plus spécifiquement chez les jeunes depuis deux décennies, exacerbée par la pandémie de Covid-19, les défis mondiaux tels que le changement climatique, les inégalités socio-économiques notamment intergénérationnelles, et l’influence des réseaux sociaux non régulés. Les troubles mentaux sont désormais la principale cause de morbidité chez les jeunes de 10 à 24 ans. Les auteurs du rapport concluent par l’impérieuse nécessité d’une action mondiale concertée pour répondre à cette détérioration continue de la santé mentale des jeunes.
En conclusion, il est urgent que les pouvoirs publics et les professionnels se saisissent de cette question de santé mentale des jeunes afin d’y apporter des réponses à la hauteur de ces enjeux, d’autant plus que de nombreuses recherches montrent qu’il est possible d’agir d’une manière efficace pour favoriser et renforcer les ressources internes et externes et donc la santé mentale des jeunes (Amstad et al., 2022). Ces actions doivent s’appuyer principalement sur le développement de cinq dimensions : la compétence, l’autonomie, l’appartenance sociale, la sécurité et le sens.
Pr Édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève,
Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Centre Jean Piaget
Ambord, S., Eichenberger, Y., & Delgrande Jordan, M. (2020). Gesundheit und Wohlbefinden der 11- bis 15-jährigen Jugendlichen in der Schweiz im Jahr 2018 und zeitliche Entwicklung – Resultate der Studie “Health Behaviour in School-aged Children” (HBSC) (Forschungsbericht Nr. 113). Lausanne : Sucht Schweiz. https://www.hbsc.ch/pdf/hbsc_bibliographie_351.pdf
Amstad, F., Unterweger, G., Sieber, A., Dratva, J., Meyer, M., Nordstrom, K., Weber, D., Hafen, M., Kriemler, S., Radtke, T., Bucher Della Torre, S., Gentaz, E., Schiftan, R., Wittgenstein Mani, A.-F., & Koch, F. (2022). Promotion de la santé pour et avec les es enfants – Résultats scientifiques et recommandations pour la pratique. Rapport 8. Promotion Sante Suisse. https://promotionsante.ch/rapport-8
Amstad, F., Suris, J., Barrense-Dias, Y., Dratva, J., Meyer, M., Nordstrom, K., Weber, D., Bernath, J., Suss, D., Suggs, S., Bucher Della Torre, S., Wieber,F., von Wyl, A., Zysset, A., Schiftan, R., & Wittgenstein Mani, A.-F. (2022). Promotion de la santé pour et avec les adolescent-e-s et les jeunes adultes – Résultats scientifiques et recommandations pour la pratique. Rapport 9. Promotion Sante Suisse. https://promotionsante.ch/rapport-9
Assurance Maladie en France (2024). Rapport et propositions pour 2025. https://www.assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/2024-07_rapport-propositions-pour-2025_assurance-maladie.pdf
Gentaz, É. (2022). Promotion de la santé psychique. In Amstad, F., Unterweger, G., Sieber, A., Dratva, J., Meyer, M., Nordstrom, K., Weber, D., Hafen, M., Kriemler, S., Radtke, T., Bucher Della Torre, S., Gentaz, E., Schiftan, R., Wittgenstein Mani, A.-F., & Koch, F., Promotion de la santé pour et avec les es enfants – Résultats scientifiques et recommandations pour la pratique. Rapport 8. Promotion Sante Suisse, pp 76-88. https://promotionsante.ch/rapport-8
OMS (2019). Santé mentale – Aide mémoire. Geneva, Bureau régional de l’Europe, Organisation Mondiale de la Santé. https://who-sandbox.squiz.cloud/fr/media-centre/sections/fact-sheets/2019/fact-sheet-mental-health-2019
OFS (2019). Enquête suisse sur la santé 2017. Neuchâtel, Office fédéral de la statistique, Suisse. https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante.assetdetail.10227276.html
McGorry, P. D., Mei, C., Dalal, N., Alvarez-Jimenez, M., Blakemore, S. J., Browne, V., Dooley, B., Hickie, I. B., Jones, P. B., McDaid, D., Mihalopoulos, C., Wood, S. J., El Azzouzi, F. A., Fazio, J., Gow, E., Hanjabam, S., Hayes, A., Morris, A., Pang, E., Paramasivam, K., …, & Killackey, E. (2024). The Lancet Psychiatry Commission on youth mental health. The lancet. Psychiatry, 11(9), 731–774. https://doi.org/10.1016/S2215-0366(24)00163-9
Polanczyk, G. V., Salum, G. A., Sugaya, L. S., Caye, A., & Rohde, L. A. (2015). Annual research review: A meta-analysis of the worldwide prevalence of mental disorders in children and adolescents. Journal of child psychology and psychiatry, and allied disciplines, 56(3), 345-365. https://doi.org/10.1111/jcpp.12381
Pour citer cet article : Pour citer cet article : Gentaz, É. (2024). La détérioration continue de la santé mentale des jeunes : nous ne pourrons pas dire « qui aurait pu prévoir cette crise ? » A.N.A.E., 191, 341-344.
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