La question de la nature dans et pour le développement psychologique des enfants a émergé ces dernières années dans l’espace médiatique, en particulier depuis la pandémie de COVID-19 et les périodes de confinement (i.e., interdiction/restriction de déplacement). La définition du concept de « nature » est difficile et complexe car il est polysémique (du monde physique, de la composition ou de la matière des choses, la biodiversité, l’écosystème, la biosphère à l’ensemble des caractères innés d’une espèce, etc.) et sa distinction avec le concept de « culture » faisant l’objet même d’un questionnement philosophique et anthropologique (Dupouey, 2024).
Pour les besoins de cet éditorial, j’ai choisi d’utiliser une définition usuelle de la nature, i.e., « l’ensemble du monde, sans les créations et transformations du monde par les êtres humains, incluant les espaces verts comme la forêt, la mer, les montagnes et les plantes et les animaux » (Le Van Quyen, 2022).
La question des études des effets bénéfiques de la nature sur la santé et l’apprentissage n’est cependant pas nouvelle pour les scientifiques qui l’ont traitée avec des approches et des méthodologies très diverses. Ainsi, déjà en 1984, une étude de Ulrich, publiée dans Science, révèle de manière étonnante que les patients (âgés de 20 à 69 ans) opérés entre 1972 et 1981 ont mieux récupéré (avec moins d’antidouleur et 1 jour en moins d’hospitalisation), lorsque ces derniers avaient occupé une chambre d’hôpital qui donnait sur un paysage naturel que sur un mur de briques.
Une équipe de scientifiques des Pays-Bas montre un lien positif significatif entre des indicateurs généraux autodéclarés de santé physique et mentale de 10 000 adultes et leur accès à des espaces verts dans leur environnement proche (de Vries et al., 2003). Ensuite, cette équipe confirme ce lien en examinant les dossiers médicaux (évaluation faite par des médecins) de 345 143 adultes et l’accès à un environnement naturel proche de leur lieu de résidence (Mass et al., 2009). Cette corrélation entre maladie et accès à un environnement naturel, est plus importante, d’une part, pour les troubles anxieux et la dépression, et d’autre part, pour les enfants et les personnes ayant un statut socio-économique faible.
Des études en neurosciences cognitives montrent aussi des corrélats neuronaux aux effets comportementaux négatifs d’une faible exposition à la nature. Ainsi, Tost et ses collègues (2019) ont demandé à 52 adultes d’évaluer leur bien-être, neuf fois par jour avec une application de leur smartphone géolocalisé durant 1 semaine. Les résultats montrent que l’exposition aux espaces verts urbains améliore le bien-être des citadines et citadins, en particulier dans les quartiers où l’incidence psychiatrique est plus élevée et où les espaces verts sont moins nombreux. Cet effet bénéfique est lié à une activité préfrontale plus faible pendant le traitement des émotions négatives, suggérant qu’une exposition aux espaces verts urbains peut compenser une plus faible capacité de régulation émotionnelle.
Chez les enfants, il existe aussi quelques études qui montrent des effets bénéfiques de la nature sur leur santé mentale et leur fonctions cognitives et apprentissages. Ainsi, dans une étude longitudinale conduite auprès de 2 593 élèves âgés de 7 à 10 ans sur 12 mois, Dadvand et ses collègues (2015) ont évalué leur exposition aux espaces verts en caractérisant la verdure de l’environnement extérieur à la maison et à l’école, et pendant les trajets domicile-travail, à l’aide de données satellitaires à haute résolution (5 m × 5 m) sur la verdure (indice de végétation par différence normalisée) et l’évolution de leurs capacités cognitives (mémoire de travail et attention) sur trois moments (tous les 4 mois). Les résultats révèlent une association bénéfique entre l’exposition aux espaces verts et le développement cognitif des écoliers, en partie médiée par la réduction de l’exposition à la pollution atmosphérique.
En résumé, de nombreuses études conduites chez les adultes montrent qu’être en contact avec la nature, même temporairement, a des effets bénéfiques sur la santé mentale (pour une revue, cf. Bratman, 2019). Si les études chez les enfants sont moins nombreuses, surtout en contexte scolaire, les résultats semblent confirmer ces effets bénéfiques (pour une revue, cf. Kuo, Barnes & Jordan, 2019).
En conclusion, il apparait que des expériences avec la nature en général, ou des accès à des espaces verts à proximité du domicile, sont bénéfiques à la santé physique et mentale et aux apprentissages, en particulier pour les enfants et les groupes socio-économiques défavorisés.
Même si des recherches sont encore nécessaires pour mieux comprendre ces effets et les processus sous-jacents, ces résultats ont non seulement des implications évidentes pour les politiques d’urbanisme mais aussi les pratiques pédagogiques et d’enseignement (Mac Dermott & Larivée, 2023).
Pr Édouard Gentaz
Professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève,
Directeur de recherche au CNRS,
Directeur du Centre Jean Piaget
de Vries, S., Verheij, R. A., Groenewegen, P. P., & Spreeuwenberg, P. (2003). Natural Environments—Healthy Environments? An Exploratory Analysis of the Relationship between Greenspace and Health. Environment and Planning A: Economy and Space, 35(10), 1717-1731. https://doi.org/10.1068/a35111
Bratman, G. N., Anderson, C. B., Berman, M. G., Cochran, B., de Vries, S., Flanders, J., Folke, C., Frumkin, H., Gross, J. J., Hartig, T., Kahn, P. H., Jr, Kuo, M., Lawler, J. J., Levin, P. S., Lindahl, T., Meyer-Lindenberg, A., Mitchell, R., Ouyang, Z., Roe, J., Scarlett, L., …, & Daily, G. C. (2019). Nature and mental health: An ecosystem service perspective. Science advances, 5(7), eaax0903. https://doi.org/10.1126/sciadv.aax0903
Dadvand, P., Nieuwenhuijsen, M. J., Esnaola, M., Forns, J., Basagaña, X., Alvarez-Pedrerol, M., Rivas, I., López-Vicente, M., De Castro Pascual, M., Su, J., Jerrett, M., Querol, X., & Sunyer, J. (2015). Green spaces and cognitive development in primary schoolchildren. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 112(26), 7937-7942. https://doi.org/10.1073/pnas.1503402112
Dupouey, P. (2024). Pour ne pas en finir avec la nature. Questions d’un philosophe à l’anthropologue. Paris : Agone.
Jucker, R., & von Au, J. (eds) (2022). High-Quality outdoor learning. Evidence-based education outside the classroom for children, teachers and society. Cham: Springer Nature. https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/57922
Kuo, M., Barnes, M., & Jordan, C. (2019). Do experiences with nature promote learning? Converging evidence of a cause-and-effect relationship. Frontiers of Psychology, Section Environmental Psychology, Vol. 10. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.00305
Le Van Quyen, M. (2022). Cerveau et Nature. Pourquoi nous avons besoin de la beauté du monde. Paris : Flammarion.
Maas, J., Verheij, R. A., de Vries, S., Spreeuwenberg, P., Schellevis, F. G., & Groenewegen, P. P. (2009). Morbidity is related to a green living environment. Journal of epidemiology and community health, 63(12), 967-973. https://doi.org/10.1136/jech.2008.079038
Mac Dermott, C., & Larivée, S. (2023). Touchons du bois… l’école en forêt. Canadian Journal of Education/Revue canadienne de l’éducation, 46(1), 111-132. https://doi.org/10.53967/cje-rce.5491
Ulrich, R. (1984). View through a window may influence recovery from surgery. Science, v224, 420-422.
Tost, H., Reichert, M., Braun, U., Reinhard, I., Peters, R., Lautenbach, S., Hoell, A., Schwarz, E., Ebner-Priemer, U., Zipf, A., & Meyer-Lindenberg, A. (2019). Neural correlates of individual differences in affective benefit of real-life urban green space exposure. Nature neuroscience, 22(9), 1389-1393. https://doi.org/10.1038/s41593-019-0451-y
Pour citer cet article : Gentaz, É. (2024). L’indispensable « besoin de nature » pour la santé physique et mentale et les apprentissages. A.N.A.E.,193, 589-591.
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